La Tour d'origine au Xe siècle

           
 

L’évolution du château et de son site

Il est fort probable qu’avant le Xe siècle le site d’Ivry ne fut qu’une motte féodale, ceinte d’un ou plusieurs fossés et, sans doute précédé, à l’emplacement de la basse-cour actuelle, d’un hameau protégé d'une palissade en bois

Scénographie supposée de la motte féodale avant édification de la première forteresse primitive 

Le relevé géométral réalisé en 1965, par le cabinet Missey (géomètre expert à Evreux), hors prise en considération des vestiges existants, permet de déterminer : l’environnement tel qu'il put être, le tracé des fossés d’origine encore perceptibles aujourd’hui et les limites supposées de la basse-cour initiale.

Emplacement de la motte féodale (dessin de Robert Baudet et plan de Missey)

 
 

Le château primitif 

Selon les sources historiques ce n’est que vers 940 que Guillaume Longue Epée, fils de Rollon, aurait fait élever à Ivry, à l’extrémité du sud est du Duché un château primitif en haut des coteaux dominant la rivière Eure.

En fait de château primitif, il ne s’agirait que d’une Tour constituée d’une grande salle rectangulaire pourvue de larges contreforts. Son originalité réside dans le fait que c’était l’une des premières réalisations d’architecture militaire entièrement édifiée en pierres.   

 

La Tour d'origine ou Tour Résidence

 
 

Vers 980, Richard 1er, fils de Guillaume, donne le comté d’Ivry à son demi-frère Raoul de Bayeux qui laisse à son épouse, Alberède, le soin de construire une Tour résidence en pierre.

Selon Orderic Vital la réalisation est confiée à Lanfroy (ou Lanfred) un architecte de renommée à qui l’on attribue entre autre la Tour de Pithiviers dans le Gâtinais. Si cela est avéré pour les transformations réalisées au tout début du XIe siècle, il semble que cela soit peu vraisemblable pour la période considérée (aux alentours de 980). La chronologie des faits et la date approximative d’édification de la Tour de Pithiviers citées  par Orderic Vital dans «Historia ecclesiastica» étant plus tardive (début XIe siècle). En fait la Tour d’origine n'est qu’une résidence seigneuriale construite à un point stratégique de la frontière Eure de la Normandie à la demande de Richard 1er fils de Guillaume Longue Epée pour administrer et contrôler cette partie du Duché et non la défendre.

L'ensemble se compose d'une salle palatiale aux dimensions intérieures imposantes de 26,70 m de long et 11,50 m de large édifiée à l'emplacement de la motte préalablement arasée. 

Son plan masse, un simple parallélépipède rectangle, s'apparente à celui que l'on retrouve pour les aulas carolingiennes comme celle que l'on peut encore voir à Doué-La-Fontaine mais son architecture extérieure, malgré ses contreforts, se distingue par des jours qui ornent ses façades et lui confère un style plus résidentielle que militaire.

La Tour d'origine d'Ivry fait partie des premières constructions de ce type édifiées au Xe siècle en Europe occidentale dont les vestiges sont encore présents et visibles.

 

Emprise de la tour résidence au Xe siècle 

  Représentation supposée de la tour résidence au Xesiècle  (dessin Mr. Robert Baudet)

 
  Sa conception architecturale correspond à celle de la Salle du Grand Echiquier de Normandie à Caen (un bâtiment pourtant bâti plus d'un siècle plus tard sous le règne d’Henri 1er de Beauclerc).   
 

      Vue générale et plan (dessin de Robert Baudet) de la tour résidence du Xe siècle 

 
  La construction se caractérise par sa maçonnerie : un appareillage en opus spicatum (arête-de-poisson) : de gros moellons équarris disposés à 45° où s’intercalent des tuileaux de brique en changeant de sens à chaque strate. Toutes les parois de se quadrilatère initial (façade occidentale, façade Nord, quatre cinquième du mur Ouest, une partie nord et une partie sud du mur oriental) sont de même facture. Seule la façade Sud ayant fait l’objet d’une reconstruction dans les siècles suivants présente un appareillage différent dit en opus incertum.  
 

Vue extérieure (ci-dessus) et intérieure (ci-dessous) des jours de la Tour résidence

Aujourd'hui l'accès à l'intérieur de la tour résidence se fait par un passage étroit (85 à 90 cm) dont le couloir est dépourvu de tout dispositif maçonné pouvant accueillir une porte (photo ci-contre). Sa position au Nord sur le front d'attaque laisse à penser qu'il ne s'agit en aucun cas de l'entrée principale mais d'un simple passage dont on ignore encore l'utilité.

L'autre originalité architecturale de la salle est que l'ensemble est éclairé par des jours (baies de forme oblongue et en sablier) dont l’embrasement conique se resserre vers l’intérieur pour ne laisser qu’un jour haut et étroit au milieu de l’épaisseur des murs.

Une originalité des ouvertures qui peut traduire la volonté de l’architecte Lanfred de répondre à deux exigences du commanditaire : conserver un éclairage optimum toute la journée et garantir la défense des lieux. La forme et la position des jours sur la façade de la construction orientée à l'Ouest permettent de capter la course du soleil du matin jusqu'au soir et empêchent également à toutes armes de jet de pénétrer à l’intérieur.

Une autre caractéristique réside dans la construction de la voûte du passage qui donne aujourd'hui accès à la grande salle. Elle est réalisée avec une alternance de claveaux en pierres calcaires et en tuiles. Un style architectural typique de la fin du Xe siècle mais que l'on retrouve plus tard dans la construction du donjon de Foulques Nerra édifié plus de quatre  siècle plus tard (1462) à  Langeais. A noter que si l'on retrouve cet appareillage au niveau des jours ce n'est pas d'origine mais la volonté de l'architecte des Bâtiments de France lors de l'opération de restauration réalisée en 1995.

Passage voûté (comme les jours) permettant l'accès à l'intérieur de la tour résidence

 
 

Au regard des fouilles réalisées en 2007 sous l'égide de la DRAC* le sol primitif de cette salle se trouve à 0.50 m sous le sol actuel. En tenant compte des parties visibles des murs Nord et Ouest la hauteur totale de la pièce est estimée à 4.40 m. Il est vraisemblable que son plafond ait été formé par un plancher constitué de sommiers bois (poutres) d'un seul tenant soit 11 m. Les travaux de recherche à plus de 1,10 m de profondeur n'ont pas permis de dire ou de prouver que les poutres reposées sur des piliers bois médians par contre elles reposaient bien sur le refend (encore visible) des murs Est et Ouest. 

 
 

Personne ne peut dire à quelle hauteur s'élevait la Tour résidence. Au regard des structures restantes et des comparaisons sur des constructions similaires de la même période (fin Xe début XIe) il est probable que:

  • La construction initiale (vers 927) n'est pas eu d'étage et ne fusse qu'une grande salle couverte d'une toiture sur charpente bois.
  • La Tour résidence, réalisée aux alentours de 970, fut comme nombre de constructions d'alors (type du grand échiquier à Caen) un bâtiment plus élevé comportant :
  1. Un niveau bas le plus souvent aveugle c’est à dire sans ouvertures (ou presque pas) qui servait en général de commun 
  2. Un niveau de vie appelé "Aula" par référence au grand vestibule des palais antiques où résidait la cour et l’ensemble des personnes la composant.
  3. Et, éventuellement un niveau supérieur correspondant aux appartements privés des résidents appelé souvent caméra (nom italien signifiant chambre)

Les seules indications autorisant à penser que la hauteur de la Tour pu être imposante sont :

  • Les trous de boulins (les traces laissées par les échafaudages dressés à l’époque de la construction) que l’on observe à différent niveau (tous les 1,40 m environs verticalement) et à intervalle régulier de façon longitudinale sur les murs. 
  • La hauteur totale des murs
  • Le retrait de maçonnerie que l’on peut voir à une hauteur de 5 m coté intérieur en partie haute des murs Nord et Est de la salle. Il nous fournit deux renseignements subjacents :
    1. la position d’une structure de toiture dans le cas de la construction initiale (927)
    2. la création d’une surélévation postérieure (en raison de l’appareillage pierre différent) lors d’une première transformation à partir de 970. Dans ce dernier cas ce sont les extrémités des poutres supportant le plancher qui auraient reposées sur ce retrait. 
 
   * DRAC : Direction Régionale des Affaires Culturelles  
     
  Les dessins, plans, relevés architecturaux et images 3D de la forteresse figurant dans ces pages ont été réalisés par : Mr Robert BAUDET initiateur du projet de réhabilitation et réalisateur des premiers travaux de dégagement en 1968, Jean MESQUI Ingénieur des ponts et chaussées spécialiste de châteaux du Xe au XVe siècle, Éric Follain Docteur en archéologie artiste numérique et Dominique PITTE suite aux opérations de déterrement et de fouilles du château initiés en 1968 par le Club Archéologie, L'ensemble est le résultat des études et recherches réalisées par l’association les Vieilles Pierres sous l'égide de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) depuis 1989.