Nul ne connait avec exactitude la date réelle de fondation de l’abbaye mais tout le monde s’accorde pour dire qu’elle s’inscrit dans le grand mouvement de reconstruction des abbayes et monastères initié par Richard 1er à la suite du traité de Saint Clair sur Epte.
C’est Roger d’Ivry, petit-fils de Raoul d’Ivry et échanson de Guillaume le Conquérant, qui après avoir participé à la conquête d’Angleterre et avoir été récompensé de sa fidélité par de nombreuses donations en terre tant en Normandie qu’outre-manche, à la suite de la victoire d’Hasting, revient à Ivry en 1069 et fait édifier l’Abbaye en 1071.
L’abbaye dédiée à Marie et à Saint Pierre porte le nom de Notre Dame d’Ivry. C’est une abbaye bénédictine réglée par l’ordre de Saint Benoit.
Aucune pièce écrite ne nous indique l’état exact des ressources de l’abbaye au moment de sa création. Nous savons seulement que ses possessions auraient été confirmées par Guillaume le Conquérant.
L’abbaye initialement prévue pour une quinzaine de religieux lors de sa fondation elle fut aussitôt placée sous la dépendance de l’abbaye de Coulombs (diocèse d’Evreux) qui procéda à la nomination des abbés jusqu’en 1224.
L’analyse de nombreux documents conservés aux archives départementales d’Evreux révèle que de tout temps l’abbaye connut un sort précaire et de nombreux malheurs : abbés dissipateurs ou en conflits avec le prieur, revenus insuffisants, bâtiments sans cesse en ruine et sans cesse à reconstruire avant d’être reprise en 1669 par la Congrégation de Saint-Maur et de sombrer définitivement dans la dispersion lors de la tourmente révolutionnaire.
Les tourments commencent en 1090. L’abbaye est incendiée une première fois lors du conflit opposant Ascelin Goël, seigneur de Bréval et de Guainville, au puissant Guillaume de Breteuil à qui la baronnie d’Ivry avait été confiée.
Bien que l’abbaye eût de nouvelles possessions et de nouveaux privilèges qui lui furent accordés et confirmés à plusieurs reprises sur le diocèse d’Evreux et celui de Chartres, il semble que dès cette période tous ces acquis aient été contestés.
En 1240 l’abbaye fait l’objet d’une nouvelle dédicace signalant qu’elle doit être reconstruite puis agrandie. Mais les finances ne suffisant pas, le pape Innocent IV accorde vingt jours d’indulgences à tous ceux qui aideraient à la réédification de l’abbaye.
Tout semblait aller jusqu’en 1250 où, après que Eudes Rigaud, archevêque de Rouen, ait fait plusieurs visites. Un état des possessions de l’abbaye révèle que les mœurs au sein de l’abbaye étaient relâchées, que les femmes pouvaient pénétrer dans le chœur et le cloître le jour des offices et qu’il y avait une insuffisance d’objets nécessaires au culte (calices, missels).
On eût pu penser que ce constat aurait pu faire réagir et redresser la situation mais une autre visite de l’archevêque en 1252 puis d’autres en 1255, 1258 et 1259 par son successeur soulignèrent que les mœurs étaient inchangées, qu’il y avait un non-respect des prescriptions relatives aux jours où l’on pouvait consommer de la viande et pire encore que la tenue des comptes, par les abbés, était mauvaise et manquait d’application.
On ne sait ce qui se passa durant les années suivantes mais en 1303 un compte-rendu de visite signale à nouveau le manque de temporel et surtout des revenus insuffisants compte tenu d’un endettement important et de charges trop lourdes. Ce constat faisant craindre la perte des usages, les abbés demandèrent à l’évêque de consigner tous ces usages dans une charte mais une nouvelle fois ce fut peine perdue : l’abbaye resta précaire durant les périodes suivantes.
Durant la guerre de cent ans l’abbaye subit de nombreuses dégradations. En 1418 le siège mis devant Ivry laisse tomber le château et le pouvoir sur les institutions aux anglais jusqu’en 1424 date à laquelle le territoire est reconquis.
Le calme revenu la situation financière de l’abbaye reste toujours difficile. En 1525 le prieur est contraint de vendre la crosse de l’abbaye pour pouvoir payer la bulle du premier abbé commendataire Jean de Luxembourg nommé à condition que le monastère, en piteux état de délabrement, soit reconstruit. Mais cet abbatiat ne fut pas plus paisible que les précédents. En 1548 les moines obtinrent une sentence contre cet abbé qui décéda presque aussitôt.
C’est cette même année 1548 que Philibert Delorme, architecte du château d’Anet, fut nommé Abbé d’Ivry. Mais bien que ses fonctions l’aient rattaché à l’abbaye il n’existe aucune mention signalant qu’il ait pu ordonner des travaux. Seule est certifiée la réalisation de stalles et d’une chaire portant ses armes.
Son successeur, très attaché à l’abbaye et très affecté par les 1380 livres de taxe qui frappent le monastère en 1564 pour subvenir aux nécessités de l’état, emprunte la somme au denier 10, et la rembourse pour éviter l’aliénation des terres. En 1573, il répare la maison abbatiale et la chapelle du portail dans laquelle il fonde le service des morts et y installe à la demande de Diane de Poitiers le superbe tombeau, aujourd’hui visible à la cathédrale de Rouen, de Pierre de Brézé son époux.
Malgré ses efforts la situation de l’abbaye restait précaire à cause des temps troublés durant lesquels elle éprouva de plus en plus de difficultés à obtenir ses revenus mais également en raison de l’attitude de deux nouveaux abbés : le premier qui fit une translation très préjudiciable qui généra un grand et long procès et le second qui tenta des transactions infructueuses qui se terminèrent également en procès au moment où un homme du pays fut nommé à la tête de l’abbaye par le duc de Mayenne alors maître du territoire.
Les guerres de religion n’épargnèrent pas l’abbaye qui subit de nombreuses dégradations et fut incendiée par les calvinistes.
Alors qu’au début du XVIIe siècle, l’abbaye continuait de décliner elle passa à deux reprise un concordat avec la Congrégation de Saint Maure grâce à l’intervention de la très pieuse Françoise de Lorraine, veuve de César de Vendôme propriétaire du château d’Anet, dont le petit fils, Philippe de Vendôme, était abbé de l’abbaye.
A cet instant, en 1667 la nécessité de réédifier l’abbaye et « les lieux réguliers » de celle-ci est à nouveau soulignée mais il faut attendre l’arrivée des Mauristes deux ans plus tard pour qu’une reconstruction s’avère indispensable et soit entreprise.
Une vue en perspective du site réalisée dix-huit ans après, montre des bâtiments modernes accolés à l’église gothique dont le chœur reste couvert alors que la nef est totalement ouverte sur le ciel. On y voit le portail encore existant de nos jours ainsi que le toit de la chapelle mais également la maison de l’abbé prolongée par des bâtiments bordant la cour du logis abbatial dont certains dépourvus d’étage devaient servir de resserres ou de celliers.
Malgré la reprise par la Congrégation de Saint Maur et les travaux entrepris, l’abbaye n’était occupée en 1752 que par trois ou quatre moines et les revenus restaient insuffisants ce qui entraina sa fermeture en 1766.
A la demande réitérée des habitants d’Ivry, l’abbaye fut réouverte en 1775 avec un nouveau prieur et une somme de vingt-six mille livres. Il entreprit la restauration de l’abbaye, la réparation des maisons et de l’ensemble des couvertures mais aussi la remise en état de l’église et son décor intérieur qui était alors doté d’un autel en bois doré.
Hélas, ce ne fut pas de longue durée. Vingt-cinq ans plus tard, le dernier prieur Dom Beaussart, assista à la dispersion des biens mobiliers de l’abbaye puis à la vente des immeubles comme Biens Nationaux en mars 1791. L’état général des revenus de l’abbaye et l’inventaire dressé à cette occasion en août 1790 révèlent que le mobilier d’usage quotidien est modeste et que seuls quelques tableaux de valeur sont présents.
Une partie du décor, et plus spécifiquement, le retable orné de sculptures et dorures, les tableaux, les statues de bois de hauteur humaine représentant « Jésus Christ tenant sa croix », la Vierge, Saint Benoit, ainsi que les anges encadrant le maître autel, les stalles hautes et basses et les balustrades des deux chapelles furent déposés à l’église paroissiale Saint-Martin d’Ivry par leur acquéreur qui en firent don à l’église et affichèrent leur volonté de rester anonymes.
Même si en 1792, d’autres tableaux furent également déposés à l’église par un particulier qui les détenait depuis environ deux ans, il ne reste plus grand-chose de l’abbaye.
En dehors du portail, seuls quelques bâtiments subsistent dans lesquels furent installés des entreprises telles qu’une fabrique de peignes, une manufacture d’instruments de musiques, et surtout une filature de coton dont la présence est attestée en 1804. Un incendie dans la nuit du 23 au 24 avril 1869 réduisit cette filature en cendres ne laissant que quelques constructions partielles.
Le portail et arcade romane sont protégés par un arrêté du 30 janvier 1932. Quelques éléments architecturaux de l’abbaye dispersés et noyés dans la végétation qui envahit les sous-bois du terrain juste derrière, sont parfois perceptibles. Malgré la mise en valeur du site par un aménagement fait juste devant, les sculptures du portail s’érodent et les symboles qu’elles évoquent s’effacent. Espérons qu’une réaction interviendra et permettra de sauver cet ensemble architectural.
Page d'accueil Architecture Le Portail Retour circuit touristique Quitter
|