Le portail de l'Abbaye Notre Dame d'Ivry

 

Un témoin du début de l’art gothique dans L’Eure

Cette page a été réalisée à partir des éléments recueillis dans les ouvrages écrit par François Joseph MAUDUIT* et  Michel BRICAUD**, les documents fournis par la Bibliothèque Sainte Geneviève et Bibliothèque de France à Paris et les Archives Départemental de l’Eure à Evreux ainsi qu’en faisant référence aux  historiens, auteurs et érudits cités qui ont laissés de nombreux documents et manuscrits.

Le portail de l'Abbaye est le seul témoignage physique qui nous reste de l’Eglise de l’Abbaye Notre Dame d’Ivry. Par rapport à l’Abbaye initiale, c’est le portail de l’ancienne Abbatiale fondée en 1071. C’est Dom Legris1, correspondant de Bernard Montfaucon2, qui fourni une description du portail au XVIII° siècle et qui nous dit que : « le portail présente une grande similitude avec celui de la façade occidentale de la Cathédrale de Chartres avec, en tympan et linteau (aujourd’hui disparu), son Christ placé en majesté au dessus des douze apôtres. ».

 

  

Le portail: à droite détail de la scénographie réalisée Gontard en 1776 montrant le portail en bout de l'ancienne nef; à gauche vue d'ensemble de l'Abbaye par Raymond Bordeaux en 1889

 
Cet ensemble constituait à l’origine l’entrée dans la grande nef de l’ancienne Abbatiale (voir sur la scénographie de droite ci-dessus et sur le plan géométrale de l’Abbaye). Il était précédé sur sa partie droite, quand on est face à l’extérieur de l’Abbaye, de la Chapelle Notre Dame du Portail dont il ne reste plus aujourd’hui que la partie mitoyenne avec l’Abbaye sur laquelle figure une arcature style roman plein cintre à triple voussures. Selon Don Michel Germain en 1687, cette voussure permettait la communication de l’Eglise avec la Chapelle du Portail. Aujourd’hui, à cet emplacement, le visiteur trouvera une statue très endommagée de la Vierge et l’Enfant dont l’origine n’est pas datée.

Dessin de Raymond Bordeaux montrant le portail et le mur du fond de la Chapelle du portail en 1889

Cet ouvrage du XII° siècle est remarquable dans le sens où il représente le plus ancien témoignage de sculpture du début de l’art gothique dans L’Eure. Aujourd’hui il ne reste plus que quelques parties de l‘ensemble qui conservent des sculptures intactes. Pour les autres parties, avec attention et en s’appuyant sur les études et descriptions faites par quelques érudits, il est encore possible de distinguer chacun des ornements décoratifs qui le composent.

Pour le présenter nous nous appuyons sur les données fournies par la lecture de l’étude réalisée et publiée dans « Les Nouvelles de l’Eure » par Jean-Pierre Suau3 à partir des écrits et dessins laissés par Raymond Bordeaux4 en 1889 qui nous donnent une description précise et très détaillée du portail de L’Abbaye Notre Dame tel qu’il était à la fin du XIX° siècle.

Dom Legris1 nous rapporte que l’ébrasement de la porte comportait à l’origine six statues (aujourd’hui il n’y en a plus qu’une). Dans son étude Raymond de Bordeaux4 nous précise que la statue-colonne qui subsiste en 1889 est encore totalement polychromée. De nos jours sur l’ensemble des voussures et ornements du portail il subsisterait encore quelques traces de fonds rouges et de robes des anges vertes mais celles-ci sont presque imperceptibles en raison l’usure due au temps.

A droite il y aurait eu : « le fondateur Roger d’Ivry, échanson de Guillaume roy d’Angleterre, duc de Normandie, la tête couverte d’un bonnet plat et plissé…qui tient la charte de fondation en rouleau. », la statue d’une femme (toujours visible) qui serait l’épouse de Roger. Et une troisième statue qui aurait été enlevée pour laisser la place au mur de la Chapelle du Portail construite  par Jacques de Poitiers, frère de Diane et Abbé commendataire d’Ivry en 1558.

 

En fait, quelques années après un autre érudit précise que si d’un coté nous avons bien « Guillaume roi d’Angleterre, et ses deux fils, Robert et Guillaume » de l’autre il aurait en lieu et place de Roger d’Ivry à coté de sa femme la représentation d’un prophète porteur d’un phylactère5. Ce qui constituerait une représentation plus biblique que royale.

 

On peut observer sur la seule statue, mutilée mais encore en place, que la femme (la reine) est coiffée d’une étoffe plate et non plissée à l’inverse de la description faite, pour l’autre personnage, par Dom Legris de : « tête couverte d’un bonnet plat et plissé…».

 

A gauche, aux emplacements aujourd’hui vides, il y aurait eu toujours selon Dom Legris1 trois personnages : « un roi avec grande barbe... et son sceptre, un bienfaiteur avec les cheveux frisés… et un rouleau dans la main comme le fondateur et le troisième un roi, la couronne sur la tête… faisant semblant de donner la bénédiction ».

Photo de la statue colonne encore en place et dessin commenté de R. Bordeaux en 1889

Le Tympan et le linteau n’existe plus. Ils sont remplacés par une arche en béton lisse. Dom Legris rapporte que :

  • Sur le Tympan figurait : « un sauveur assis sur un trône au milieu de la porte qui donne la bénédiction, accompagné des quatre animaux des évangélistes qui sont ailés et qui tiennent sous leurs pattes et sous leurs griffes un livre fermé ».
  • Sur le linteau figurait : « les douze prophètes qui sont assis. Qui font le haut de porte et sont plus petits que les figures de dessus ».

Cette représentation fait référence au portail de la Cathédrale de Chartres avec lequel, nous le verrons, il y a une très grande similitude.

Le portail de l'Abbaye aujourd'hui pour plus de détail sur les voussures et les claveaux cliquez sur la photo

Les deux voussures qui ornent le portail sont composées de vingt sept claveaux qui représentent des scènes bibliques. Si six d’entre eux, principalement au niveau des clefs, sont très endommagés, donc illisibles, tous les autres restent observables ou partiellement visibles. Grâce à l’interprétation donnée par André Lapeyre6 en 1960 nous pouvons repérer et admirer sur place les scènes encore conservées (voir ci-contre).

 

Sur la voussure, la plus externe, six claveaux illustrent la passion du christ : l’arrestation, la flagellation, la crucifixion, la descente de la croix, la visite au tombeau et la descente aux Limbes. Curieusement on peut apercevoir que parmi cet épisode retraçant la fin de la vie du Christ il figure des scènes illustrant l’Annonciation. A ce propos nous citerons Marguerite Vidal7 qui dit : « sa présence n’est pas exceptionnelle car le thème de l’annonciation est parfois lié à celui de la chute et du jugement ».

 

   

Aperçu de quelques sculptures des claveaux qui constituent les voussures du portail

Les sculptures de la voussure interne sont dédiées au jugement dernier. De part et d’autre du Christ situé au centre on retrouve à droite la représentation du Paradis et à gauche celle de l’Enfer. L’enchaînement des scènes débute par le combat de Saint Michel contre le dragon rappelant la lutte du Christ contre le Démon lors de la descente aux Limbes. On retrouve cette symbolique avec la victoire d’une vertu sur un vice. Concernant la Résurrection on distingue  uniquement une illustration de la scène finale avec la représentation d’un ange, ailes déployées, qui monte au paradis avec une âme dans chaque main.

L'annonciation

La descente de la croix

Le Paradis est illustré par les deux premiers claveaux internes de la voussure de gauche. Représentées par une tour surmontée de clochetons les portes du Paradis sont gardées par Saint Pierre facilement repérable car il a les clefs à la main.

 

Les âmes guidées par Saint Michel sont accueillies au sein du paradis par des élus (ceux-ci ont presque totalement disparus aujourd’hui) situés au dessus d’une fenêtre. On y aperçoit malgré tout un démon qui retient une âme désespérément accrochée à la porte du Paradis. Au dessus on distingue encore le Christ tendant une main en avant. Certainement qu’à l’origine il était entouré de deux anges mais ceux-ci ont totalement disparus. Cette représentation du Paradis est exceptionnelle car elle renferme une scène unique en Normandie définie comme « Abraham tenant des élus en son sein ».

 

De l’autre coté c’est l’Enfer et ses tourments. On y voit, en opposition de l’ange portant des âmes (coté Paradis), un démon nu qui transporte un ange déchu (il ne reste  plus que les jambes de l’ange). Dans la partie supérieure figure l’Enfer vers qui le diable va. Deux démons y attisent un feu sous une cuve dans laquelle est plongé un personnage ayant à son cou une bourse. Sans doute s’agit-il d’un avare pour l’Avarice.

 

Cette lutte des vertus contre le vice se poursuit avec celle de la Sobriété contre la Gourmandise. On y voit une femme  revêtue d’une armure, une épée et un bouclier en mains foulant  à ses pieds un personnage à tête de singe : la Gourmandise.

Le Paradis

La visite des saintes femmes

Dans le haut des voussures une large place est consacrée aux anges et vieillards de l’Apocalypse. Ainsi on distingue : des anges porteurs d’instruments de la Passion, un ange en adoration tenant un encensoir, deux vieillards portant des violes et des coupes. On ne sait pas si la Trinité occupait l’emplacement des clefs des voussures. Aucun des érudits qui ont consacrés des études sur ce portail de l’Abbaye Notre Dame d’Ivry n’a pu affirmer avec certitude cette hypothèse. Si cela était le cas cela renforcerait la théorie d’une parfaite similitude entre ce portail de L’Abbaye Notre Dame d’Ivry et celui de Chartres dont la composition scénographique est identique.

Cliquez ici pour repérer et voir les claveaux qui constituent les voussures du portail de l'Abbaye Notre Dame d'Ivry

 

Sources biographiques et références

*  « Histoire d’Ivry-La-Bataille et de l’Abbaye de Notre Dame d’Ivry » par JF MAUDUIT-1899

** « Histoire d’Ivry-la-Bataille et de ses environs »  par Michel BRICAUD-1997

  1. Dom Legris, auteur de manuscrits (archives d'Auchy), était un religieux de ce monastère, correspondant de Bernard de Montfaucon moine bénédictin (1655-1741) qui fut l'un des savants de la congrégation de Saint-Maur.
  2. Bernard de Montfaucon moine bénédictin (1655-1741) fut l'un des savants de la congrégation de Saint-Maur.
  3. Jean-Pierre Suau Enseignant à l'université Paul-Valéry-Montpellier III  il est spécialiste des arts de la couleur, en particulier du vitrail et de la peinture murale. Son champ de recherche l'a conduit à des analyses nouvelles de l'iconographie médiévale.
  4. Jacques-Hippolyte Raymond Bordeaux (1821-1877) jurisconsulte, archéologue et bibliophile
  5. Phylactère : suite de représentations graphiques peintes, dessinées ou sculptées, sur laquelle se déploient la vie et les paroles prononcées par le personnage que l'on représente.
  6. André Lapeyre : archiviste, professeur d’histoire, directeur de l’administration centrale du Ministère de l’Education Nationale et Monuments historiques auteur de l’ouvrage « Des façades occidentales de Saint-Denis et de Chartres aux portails de Laon » publié en 1960.
  7. Marguerite Vidal : auteur avec Jean Maury, Jean Porcher  de l’ouvrage Quercy roman  La-Pierre-Qui-Vire 1959.