château au XIe siècle

 

 

En 1015 Hugues d'Ivry, fils de Raoul d'Ivry, comte d’Ivry et évêque de Bayeux reçoit en héritage l’essentiel des biens de son père y compris le château d’Ivry. Tenu à l'écart du conseil du roi pour avoir maintenu le château d’Ivry contre de duc Robert 1er le Magnifiqueil arme Ivry et part en France pour renforcer sa garnison. C’est le moment que Robert 1er le Magnifique choisit pour assiéger le château et en devenir le maître jusqu’à la fin du règne de Guillaume le Conquérant. Resté longtemps en exil, Hugues d'Ivry rentre en grâce en novembre 1032. C’est sans doute durant cette période que le château d’Ivry  subit un premier remaniement.

 
 

La forme en « L » devient un grand rectangle par l’ajout d’un complément de construction à l’angle Sud-Est en direction du Nord-Est.

Cette extension réalisée en appareil opus incertum, est constituée d’un premier volume formant une salle rectangulaire prolongée par un second volume plus étroit totalement fermé qui pourrait être une fosse de latrines ou à une cuisine.

Dans le même temps, une enceinte extérieure à contre-forts, est élevée autour de l’édifice.

Les courtines qui ceinturent la tour d'origine ont été remblayées jusqu'au 1er étage constituant ainsi un long boulevard. ces travaux permirent de consolider l'ensemble du palais initial et d'occulter les jours du rez de chaussée par des bouchons de maçonnerie.

De ce fait, un nouvel accès est aménagé au sud, au niveau du premier étage. Bien que les pieds-droits aient totalement disparus le passage est encore lisible au droit des vestiges d'une tourelle d’escalier qui fut ajoutée bien plus tard.

Le front Sud est également totalement restructuré avec une élévation des murs.. 

A l’angle Nord-Est, l’abside initiale de la chapelle est surélevée pour former une tour dite en fer à cheval dont on ignore la hauteur exacte mais dont on peut penser qu’elle ne put dépasser les deux niveaux de la tour résidence d'origine

Il est fort probable que c'est à cette période que le mur gouttereau* oriental (Est), faisant séparation entre la grande salle (la Aula) et les celliers, fut repris et reparementé sur une partie de leur hauteur.

Vue de l'emprise du château d'Ivry au XIe siècle

vue 3D (Eric Follain) des transformations de la Tour au XIe siècle coté façade Ouest

 
 

Vue éclatée et vue 3D (Eric Follain) des transformations de la Tour au XIe siècle coté façade Est

 
 

Des trous de poutraison, mis en évidence lors des  fouilles, montrent que le sol de l'extension entre la grande salle et le nouveau mur oriental était formé par un plancher bois recouvrant le vide formé par  l'escarpement initial.

Le plancher bois formant le plafond des celliers est remplacé par une voûte en berceau installées après décaissement des anciennes maçonneries au-dessus de la naissance des murs.

La voûte nouvellement crée est renforcée par des arcs doubleaux. Ces arcs ont aujourd’hui disparu mais il est aisé de voir leur emplacement grâce aux saignées laissées à leur positionnement dans les murs et la voûte. 

 
 

La partie haute du nouvel espace est identique à celle du cellier qui précède la chapelle: une voûte en berceau plein cintre avec des arcs doubleauxSur la photo ci-dessus, prise lors des fouilles, on distingue encore nettement l'amorce de la voûte qui partant de la façade orientale vient reposer sur le mur de la grande salle. on y observe également l'une des deux saignées verticales laissées dans la paroi à l'emplacement des arcs doubleaux.

 
 

Outre le net accroissement de la partie privative, ces transformations entraînent une restructuration des accès: :

  • La porte de liaison entre la grande salle et le nouvel espace est totalement rebâtie en pierre d'appareil sous une arche plein cintre avec une largeur importante (plus de 2 m). Le passage est doté de pieds-droits ou jambages façonnés de retraits pour recevoir des portes à deux vantaux s’ouvrant du côté de la nouvelle salle.
  • L’accès au cellier qui précède la zone dite de la chapelle est également modifié par la création de deux pieds-droits et d’une arche en appareil non pourvu de dispositif de fermeture.

 

      

 Vue aérienne de l'extension réalisée au XIe                               Ancien accès à la tour réaménagé au XIe siècle                 

 
 

Au regard de la structure encore visible, il est clair que l’ensemble servait d’assise à un ou plusieurs étages supérieurs offrant une disposition similaire. On notera cependant une différence au niveau relation entre les différents niveaux. Si l’accès à la partie basse s’exerce au rez-de-chaussée par le biais du mur à double arcade qui sépare le cellier de la zone dite chapelle en croisée d'ogive, l’accès à la partie supérieure à la nef, au niveau du premier étage, se fait directement depuis la grande salle. Cette configuration laisse à penser que la vrai chapelle aurait été au niveau du premier étage et que la zone dite chapelle aujourd'hui n'aurait été qu'une chapelle basse comme on peut en voir dans d'autres sites ayant une configuration similaire.

Selon Orderic Vital c’est suite à cette évolution du bâti que l’édifice a acquis son statut de "Turris famosa, ingens et munitissima" (célèbres tours, grandes et fortes)

Même si la transformation de la tour d’Ivry ne semble être qu’une amélioration du principe défensif appliqué au donjon de Pithiviers, le château d’Ivry acquiert dès lors une notoriété symbole de pouvoir et devient très vite un concept de référence copié presque aussitôt par d’autres places fortes comme Loches, Avranches, etc. mais aussi outre-manche avec la construction de la célèbre White Tower (Tour Blanche) de Londres qui commença, sous les ordres de Guillaume le Conquéranten 1066 dans le cadre de la conquête normande de l’Angleterre et se poursuivit ensuite en 1078.

C'est sans doute Roger d'Ivry, échanson de Guillaume le Conquérant et fondateur de l'Abbaye Notre Dame d'Ivry qui, lors de sa participation à la conquête d'Angleterre, suggéra au Duc de Normandie (futur Roi d'Angleterre) de prendre comme modèle du château d'Ivry pour construire la Tour de Londres. 

 
 

 

Comparaison des trois donjons anglo-normands

Si on exclut le fait que le plan d’Ivry est retourné verticalement, les plans d’Avranches, de Londres et d'Ivry démontrent la similitude qu’il existe entre les trois donjons. Chacun d’entre eux présente :

  • la même structure interne et, à quelques nuances près, les mêmes contours externes.
  • Les volumes divisés par le mur de refend et leur disposition sont identiques.
  • La chapelle est au même endroit est les dimensions de chaque édifice sont extrêmement proches
 
 

Un rapport réalisé par Sir Docteur Edward Impey** en 1999 dans "The Seigneurial Résidence in Western Europe AD c.800-1600"  fait état des ressemblances frappantes (structure et dimension) entre les deux édifices prouvant que le type de construction de la Tour de Londres et du donjon de Colchester n’était :"ni des nouveautés architecturales, ni la copie de modèles exotiques, ni aucune réponse à la configuration particulière de leur site". 

Nous ne pouvons que supposer l'intérieur du château au XIe siècle. Les plans dressés à partir des relevés établis lors des différentes opérations de fouilles et de nombreuses comparaisons avec d'autres sites similaires ont permis de restituer et de montrer l'apparence et l'ambiance intérieure des différentes salles telles qu'elles auraient pu être à l'époque. C'est ce que nous illustrons ci-dessous avec les images 3D d'Eric Follain.

 

                   Les celliers  (pièces contiguës aux communs)                       Les communs (au rez-de-chaussée sous la Aula)

La Aula (la grande salle seigneuriale) pièce de jour où le seigneur vit et reçoit.

 
 

Une autre transformation intervient à cette époque avec la construction sur le flanc occidental de la forteresse d'une tour de flanquement (en rouge sur le schéma ci-contre). Cette tour de flanquement dite en fer à cheval ou à gorge fermée est accolée au rempart extérieur et domine le vallon qui mène à Saint André

D'une hauteur imposante en raison de sa position sur le flanc Ouest de l'éperon rocheux sur lequel repose la forteresse elle ne démérité pas par son diamètre (plus de 10 m). les vestiges restant (visibles en montant à droite du chemin qui mène au château)  nous interdisent d'affirmer de façon précise comment elle se terminait en partie haute. on peut cependant supposer que sa plateforme supérieure correspondait au niveau du boulevard Ouest. 

Tour de flanquement coté occidental

 
 

Les vestiges d'une porte sont encore visibles à ce niveau là. La présence de trous de boulins indique la position de poutres qui devaient soutenir un plancher bois et une embrasure au niveau de l'arase actuelle nous indique que la tour comportait à cet endroit une archère sans doute longue et étroite.

Le positionnement de l'archère et le repérage de trous laissés à l'emplacement des poutres autorise à penser qu'il y ait eu un plancher à un niveau inférieur au chemin de ronde. compte tenu de la hauteur de la tour il n'est pas impossible qu'il y en eut plusieurs répartie sur la hauteur. Chacun des niveaux possédant une ou plusieurs archères aurait été desservis par des échelles internes en bois dont l'accès selon toute vraisemblance devait se faire par le haut depuis la plateforme.

 
     
 

Dans une construction, le mur gouttereau est le mur portant une gouttière ou un chéneau terminant le versant de toiture et recevant les eaux par opposition au mur pignon

** Docteur historien du patrimoine britannique, directeur Général du Royal Armouries à Londres Sir Edward Impey est diplômé en archéologie de l'université de Oxford.En tant qu'archéologue il est à la tête de plusieurs études qui l'ont mené à faire  des conférences et devenir l'auteur de nombreuses publications relatives à l'étude des châteaux anglo-normands et autres demeures seigneuriales entre le Xe et XIIIe siècle dont l'ouvrage " The Seigneurial Résidence in Western Europe AD c.800-1600" auquel il est fait référence.

 
     
  Les dessins, plans, relevés architecturaux et images 3D de la forteresse figurant dans ces pages ont été réalisés par : Mr Robert BAUDET initiateur du projet de réhabilitation et réalisateur des premiers travaux de dégagement en 1968, Jean MESQUI Ingénieur des ponts et chaussées spécialiste de châteaux du Xe au XVe siècle, Éric Follain Docteur en archéologie artiste numérique et Dominique PITTE suite aux opérations de déterrement et de fouilles du château initiés en 1968 par le Club Archéologie, L'ensemble est le résultat des études et recherches réalisées par l’association les Vieilles Pierres sous l'égide de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) depuis 1989.